Les Mexicains, qui ont longtemps appris que les maladies importées d'Europe par les Conquistadors avaient décimé leurs ancêtres indiens, vont devoir réviser leurs connaissances: de nouvelles recherches avancent que la disparition de la plupart des Indiens au XVIe siècle serait due à une maladie américaine transmise par les rats.
Si l'arrivée des Conquistadors à partir de 1519 a bien provoqué de fortes mortalités, dues à la variole, la rougeole ou la typhoïde contre lesquelles les Indiens n'étaient pas immunisés, les deux épidémies de fièvre hémorragique de 1545 et 1576 ont été nettement plus meurtrières, selon des chercheurs mexicains.
Ces derniers appuient leur thèse sur la traduction récente des observations du Dr Francisco Hernandez, un médecin du roi d'Espagne qui a été témoin de l'épidémie de 1576 et a réalisé des autopsies. Dans ses comptes rendus, perdus pendant plusieurs siècles et retrouvés récemment, il décrit une fièvre meurtrière qui provoque des hémorragies importantes. La maladie se répandait rapidement chez les Indiens, tuant environ 80% des malades en un ou deux jours.
"Du sang s'écoulait des oreilles et, dans de nombreux cas, du sang jaillissait littéralement du nez", a-t-il écrit. "Parmi ceux atteints d'une maladie chronique, pratiquement aucun ne survivait." Le franciscain Fray Juan de Torquemada, qui a également observé l'épidémie, rapporte que celle-ci a "détruit presque le pays entier". "Beaucoup étaient morts et d'autres presque morts et personne d'autre n'avait la santé ou la force d'aider les malades, ou d'enterrer les morts."
L'épidémiologiste Rodolfo Acuna-Soto, professeur de microbiologie de l'université nationale autonome de Mexico, à l'origine de cette thèse, estime que la maladie décrite n'est pas la variole. "Les constatations ne correspondent pas du tout", affirme-t-il. D'autant plus que les Indiens vivant à cette époque avaient certainement développé des résistances aux nouvelles maladies.
Pour Elsa Malvido, démographe, historienne et spécialiste des épidémies anciennes, il pourrait s'agir de la peste bubonique, apportée par des rats européens et qui aurait exercé des ravages importants chez une population non immunisée.
Mais le directeur du centre d'histoire médicale de l'université de Mexico Carlos Viesca se dit presque convaincu que la maladie n'a pas été importée. "Le problème n'a pas commencé à Veracruz ou Acuapulco", les deux principaux ports de l'époque, constate-t-il.
L'épidémie semble en effet avoir démarré sur les plateaux du centre du Mexique, les rats la transmettant par l'urine et les crottes. Le Dr Acuna-Soto étudie la possibilité d'une sécheresse inhabituelle qui aurait poussé les rats porteurs de la maladie à migrer et à se rapprocher des hommes. Carlos Viesca rappelle, lui, que des mineurs européens sont partis à l'époque à la recherche d'or et d'argent sur ces plateaux: ils pourraient avoir délogé les rats, pense-t-il.
On ne sait pas combien d'
Indiens vivaient au XVIe siècle au
Mexique (les estimations varient entre 6 et 25 millions). Il est en revanche établi qu'ils n'étaient plus que 2 millions en 1600.