• Assassinat d’un leader aborigène luttant pour le droit à la propriété des autochtones

    Boracay, paradis du tourisme international, a été fréquenté l’an dernier par 1,2 million de vacanciers. Ce territoire ancestral des Ati, peuple autochtone de cette petite île des Visayas Occidentales, a perdu le 22 février dernier son porte-parole, Dexter Condez, 26 ans, abattu à la nuit tombée de six balles tirées à bout portant. Pour son enterrement, qui a eu lieu le 2 mars dernier en présence d’une foule d’un millier de personnes, Victoria Eliza Aquino-Dee...

    ... la sœur du président de la République Benigno Aquino, avait fait le déplacement. « Il était si jeune et promis à un avenir brillant. Ceux qui sont responsables de sa mort doivent être arrêtés et punis », a-t-elle déclaré à l’issue de la messe des funérailles.

    Le 22 février, vers 21h, Dexter Condez revenait d’une réunion qui avait rassemblé des responsables de la communauté Ati et des religieuses des Filles de la Charité, congrégation active à la Holy Rosary Parish Ati Mission, fondée en 2000 par les Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul pour venir en aide aux quelque 40 familles Ati de Boracay, soit environ 200 personnes. Dexter Condez lui-même était membre de la Société de Saint Vincent de Paul. C’est en tant que porte-parole de la BOTA (Boracay Ati Tribal Organization) que le leader à cette réunion qui avait pour objet la mise en œuvre du titre de propriété accordé l’an dernier aux Ati par la Commission nationale des peuples indigènes.

    Rapidement après l’assassinat de Dexter Condez, la police a arrêté un suspect, garde de sécurité d’un hôtel de l’île, le Crown Regency Boracay Resorts, appartenant à une société basée à Cebu, la J. King & Sons Co. Inc.

    Habitants originels de Boracay, les Ati vivaient sans problème majeur sur leur île jusqu’aux années 1970, date de l’arrivée des premiers touristes. Commencée modestement autour d’établissements fréquentés par les backpackers, l’activité touristique s’est considérablement développée au point de faire de l’île une destination internationale très prisée. Des hôtels de luxe sont sortis de terre. Les Ati ont certes retiré quelques revenus de cette activité touristique (ouvriers sur les chantiers de construction ou petits commerçants) mais ils ont surtout perdu la maîtrise de leur île. Sur les seulement 1 032 hectares de l’île, le nombre des lots fonciers est passé de 270 à la fin des années 1970 à plus de 6 000 aujourd’hui. Le prix du m² a grimpé en flèche et on estime qu’un tiers des propriétés ne sont pas enregistrées légalement. Il n’est pas rare que des conflits fonciers entre hôteliers se règlent à coups de fusil.

    C’est dans ce contexte que les Ati, stigmatisés de plus pour la couleur foncée de leur peau, se sont trouvés complètement marginalisés sur leurs propres terres. Aidés par l’Eglise catholique, ils ont alors demandé à la Commission nationale des peuples indigènes de leur reconnaître un territoire spécifique, mais ce n’est qu’en janvier 2011, après plus de dix années de démarches, que celle-ci leur a accordé un « Titre de domaine ancestral ». Sur les 156 titres accordés par la commission aux peuples autochtones des Philippines, celui des Ati est assurément le plus petit, avec une superficie de seulement 2,1 hectares ! Située en bordure d’une crique préservée des constructions dans la partie sud de Boracay, la propriété s’est toutefois révélée inconstructible du fait de litiges engagés par trois groupes hôteliers. Et c’est le garde de sécurité de l’un d’entre eux, le Crown Regency Boracay Resorts, qui est soupçonné d’avoir abattu Dexter Condez.

    Dans le diocèse de Kalibo, dont le territoire comprend l’île de Boracay, la cause des peuples indigènes ainsi que la défense de l’environnement figurent au cœur des priorités de l’évêque, Mgr Jose Corazon Tumbagahan Tala-oc. Son engagement contre les grandes exploitations minières est connu de tous. Ce 2 mars, Mgr Tala-oc présidait les funérailles de Dexter Condez à Boracay. Dans son homélie, affirmant que le diocèse continuera à défendre les Ati, il a déclaré : « Nous poursuivrons la route à vos côtés dans votre combat pour la terre et la justice. Désormais, nous avons un héros à Boracay. »

    Par ailleurs, à Manille, une récente décision du président Aquino a été très mal accueillie par les défenseurs de l’environnement et des droits des peuples autochtones. Le 19 février dernier, le gouvernement a en effet annoncé que l’étude d’impact environnemental du géant minier Xstrata pour son projet de mine à ciel ouvert à Tampakan, sur les terres ancestrales du peuple B’lann, était recevable et conforme aux normes en vigueur aux Philippines. Cette décision ouvre la voie à une mise en place d’un investissement très controversé de 5,9 milliards de dollars, le plus important investissement étranger jamais réalisé dans le pays. Dès le lendemain 20 février, Mgr Dinualdo Gutierrez, évêque du diocèse catholique de Marbel, dénonçait la mesure gouvernementale : « [Benigno Aquino] n’est plus crédible. Il affirme que le peuple est ‘le patron’, mais ce n’est qu’un slogan, rien de plus ! »

    Enfin, sur le même sujet du projet minier de Tampakan, un juge de Digos City, à Mindanao, a mis en examen le lieutenant-colonel Alexis Noel Bravo et quinze de ses hommes pour l’assassinat de Juvy Capion et de deux de ses fils, âgés de 8 et 13 ans. Abattue en octobre dernier alors qu’elle était enceinte de trois mois, la jeune femme était l’épouse de Daguil Capion, membre du peuple B’lann et l’un des leaders de l’opposition au projet du groupe Xstrata. Prononcée hier 6 mars, cette mise en examen et le jugement qui suivra sont attentivement suivis aux Philippines par les militants des droits de l’homme qui y voient un test de la détermination présidentielle à défendre les droits de l’homme.
     


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