• Bolivie - Marche contre Morales: les indigènes désunis, ou désenchantés

    a marche de protestation menée depuis un mois par un millier d'Indiens amazoniens vers La Paz rappelle que l'élection historique à la présidence en Bolivie d'un Amérindien, Evo Morales, n'est pas gage de félicité pour un monde indigène pluriel, voire divisé.

    C'est un projet de route, visant à désenclaver le centre d'un des pays les moins développés d'Amérique du Sud, qui a fait se dresser ces marcheurs: elle doit traverser un parc naturel, terre ancestrale de 50.000 indiens moxenos, yurakarés et chimanes, trois parmi la mosaïque d'ethnies boliviennes.

    Que je sache, dans presque tous les pays du monde il y a une route ou une voie ferrée qui passe, même avec précautions, dans des parcs nationaux, s'est agacé le président Morales. Il a refusé à ce jour de rencontrer les marcheurs, qu'il dit manipulés politiquement.

    Des Amérindiens, vent debout contre le premier chef d'Etat issu de leurs rangs de l'histoire du pays, champion autoproclamé des droits indigènes et auteur d'une Constitution (2009) plaçant l'Indien au coeur de la nation ? Le paradoxe n'est qu'apparent.

    Morales, d'origine aymara, a été élu en 2005, réélu en 2009 avec 54%, puis 64% au premier tour. Un soutien ample, majoritairement indien, populaire, rural comme urbain. Mais une véritable auberge espagnole, vouée à se fissurer entre des intérêts catégoriels divergents, ont vite prédit de nombreux analystes.

    Un patchwork précaire, à l'image d'un pays aux 37 langues officielles de peuples indigènes originaires paysans reconnues par la Constitution. Mais si les indiens sont 65 % de la population, il y peu en commun entre les aymaras ou quechuas de l'altiplano andin, et les guaranis ou chiquitanos du sud et de l'est amazoniens.

    A six kilomètres de Chaparina (nord-est), où les marcheurs sont bloqués depuis une dizaine de jours, un barrage hostile d'un millier de pro-gouvernementaux leur bloque la route: parmi eux des indiens également, mais ceux-là partisans du gouvernement.

    Pour le sociologue Sergio Asturizaga, il serait simplificateur, voire paternaliste, d'imaginer que l'accession au pouvoir de Morales confèrerait une unité au monde indigène bolivien. Comme si tous les Noirs américains étaient unifiés derrière Barack Obama, indépendamment d'idéologies ou d'intérêts particuliers distincts.

    Car le conflit de la route du parc Isoboro Secure est aussi un enjeu d'ordre foncier, politique, clientéliste. Dans une zone lorgnée par les planteurs de coca, famille syndicale dont est issu Morales, mais où vivent des communautés indigènes.

    Le projet (routier) vise aussi à consolider l'acquisition de terres par des paysans plutôt riches (cultivateurs de coca), près de terres de yurakarés, moxenos et chimanes, des paysans pauvres, décrypte Enrique Ormachea, du Centre d'études pour le développent agraire et du Travail (CEDLA).

    Les incursions de ce type dans la Bolivie indigène ne datent pas d'aujourd'hui. En 2009 déjà, des heurts entre cocaleros, dont les cultures empiétaient sur le parc Secure, et des Yurakares avaient fait un mort et plusieurs blessés.

    Se superpose à ce conflit un désenchantement social après cinq ans de présidence Morales, avec une rigueur macro-économique -saluée par les institutions financières internationales- qui passe mal auprès des pauvres, après les flambées des prix de 2010.

    Evo s'est perdu, il est devenu contremaître des multinationales, dénonce la guarani Justa Cabrera, présidente de la Fédération des femmes indigènes. A l'entendre parler de processus de changement, on espérait égalité et opportunités pour tous, mais il ne nous les donne pas.

    Le système n'a pas changé, seulement la couleur de la peau au pouvoir, prédisait après l'élection de Morales Felipe Quispe, un dirigeant aymara respecté, ancien militant de la lutte armée des années 1990.


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