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Un village Inuit s’oppose à la prospection pétrolière
Une communauté Inuit du nord canadien s’oppose à des compagnies pétrolières qui ont obtenu l’autorisation de prospecter dans le détroit de Davis.
Ils craignent que la méthode de prospection sismique utilisée ne perturbe les mammifères marins, au cœur du mode de vie Inuit.
Le village Inuit de Clyde River, au Nord du Canada sur l’Île de Baffin, face au Groenland a saisi la justice canadienne lundi 28 juillet pour empêcher une campagne de prospection pétrolière.
Le maire de ce village de 800 âmes et l’association Nammautaq des trappeurs et chasseurs de Clyde River dénoncent le feu vert accordé par l’Office national de l’énergie (ONÉ), une organisation gouvernementale canadienne, à plusieurs compagnies pétrolières pour effectuer des relevés sismiques dans le détroit de Davis et la baie de Baffin.
« Des sons 100 000 fois supérieurs au moteur d’un avion »
En cause, la méthode utilisée par ces compagnies qui tirent avec des canons à air comprimé vers les fonds marins et analysent les échos renvoyés pour déterminer la présence ou non d’hydrocarbures. Cette technique est de plus en plus plébiscitée par les prospecteurs car elle leur évite des forages complexes et très coûteux en mer. Toutefois, elle est particulièrement bruyante et d’après plusieurs ONG environnementales, comme le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) ou OceanCare, elle a un impact négatif sur la faune marine.
« À 230 décibels, ces canons à air comprimés produisent des sons 100 000 fois supérieurs au moteur d’un avion quand une exposition à 140 décibels cause une perte d’audition permanente pour les êtres humains », explique Nader Hasan, l’avocat de la communauté. Les eaux dans lesquelles doivent avoir lieu les relevés sismiques sont « riches en mammifères marins en particulier des narvals, baleines boréales, morses et phoques », d’après Nader Hasan. Or ces animaux ont développé une ouïe très fine pour se déplacer, se nourrir et communiquer.
Il n’existe pas pour l’instant d’étude scientifique faisant consensus pour démontrer la nocivité de ces relevés sismiques pour les mammifères marins. Mais pour les défenseurs de l’environnement, elle ne fait pas de doute. L’IFAW explique que « les canons à air utilisés par l’industrie pétrolière entraînent un martèlement suffisamment puissant pour couvrir les cris des baleines sur des milliers de kilomètres à la ronde et peuvent de fait empêcher ces animaux de communiquer et de se reproduire. De tels bruits peuvent également les pousser à abandonner leur habitat ».
Alors que ce type de relevés a déjà lieu en Méditerranée, à proximité de la Grèce et de la Croatie, l’Union Européenne a récemment pris conscience du problème. Elle exige depuis mars 2014 que toute campagne de prospection sismique soit soumise à une évaluation des incidences sur l’environnement, au même titre que les forages.
« Les mammifères marins sont au cœur de notre mode de vie »
La culture traditionnelle des Inuits, un des peuples autochtones du Canada, est centrée autour de la chasse aux animaux marins pour se nourrir et se vêtir. « Les Inuits ont vécu de cette terre et de ces eaux pendant près de 4 000 ans », déclare Jerry Natanine, le maire du village. « Les mammifères marins sont au cœur de notre mode de vie. Ils font partie de notre alimentation et de notre culture. Si les compagnies pétrolières nous prennent cela, il ne nous restera plus rien. » Les habitants craignent en effet que les tests sismiques perturbent les déplacements migratoires des baleines et les éloignent du village.
L’Office national de l’énergie s’était contenté de noter l’année dernière que ces tests « pourraient avoir des répercussions sur la baleine boréale ». Il affirme avoir mené des consultations et des réunions publiques avec les communautés locales mais a fini par accéder à la requête des compagnies pétrolières en estimant fin juin 2014 que « le projet n’était pas susceptible d’avoir un effet négatif important sur l’environnement ». Les trois compagnies ont prévu de démarrer les relevés sismiques en 2015 pendant la saison des « eaux libres », c’est-à-dire en été.
Une décision qui « viole les droits fondamentaux de la population »
Si les habitants de Clyde River ont déposé un recours judiciaire, c’est pour obtenir des réponses à propos des risques environnementaux créés par les relevés. « Nous ne sommes pas opposés à tous les projets d’extraction de minéraux, de pétrole ou de gaz. Mais nous devons être sûrs que notre alimentation, économie et culture ne seront pas détruites », précise Jerry Natanine.
Une manifestation a également eu lieu dans le village de Clyde River la semaine dernière. « Les compagnies pétrolières n’ont pas voulu ou pas pu répondre aux questions de la communauté. Mes clients n’avaient pas d’autres choix que de saisir la justice », regrette Nader Hasan.
Ce n’est pas la première fois que des peuples autochtones s’opposent à des entreprises pour des questions environnementales au Canada. Le projet controversé de doublement de l’oléoduc Keystone est également dénoncé par plusieurs associations et communautés au Canada pour le danger qu’une rupture du pipeline ferait courir aux espaces sauvages traversés.
Le village de Clyde River est situé dans le territoire autonome du Nunavut où les Inuits possèdent une certaine indépendance vis-à-vis de la politique canadienne. « La décision de l’ONÉ viole les droits fondamentaux de la population du Nunavut », dénonce Nader Hasan. « Le gouvernement fédéral a l’obligation constitutionnelle de consulter et de négocier avec les autochtones du Nunavut. Cela n’a pas eu lieu. Une fois de plus, l’ONÉ s’est contenté de donner un coup de tampon sur les revendications de l’industrie pétrolière ».
La question des droits des autochtones est particulièrement sensible au Canada, notamment en ce qui concerne les territoires et les ressources naturelles. Le gouvernement canadien n’est pas réputé pour ses actions en faveur de l’environnement, bien au contraire. Le pays a notamment quitté le protocole de Kyoto, qui prévoit la réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2011.
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