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Les peuples premiers et le droit
Le concept de « peuples premiers » est loin d'être clair, pas plus que celui, pour les survivants, de «peuples autochtones », d'abord parce que l'on continue de débattre quant aux critères qui peuvent déterminer l'existence d'un « peuple » et parce qu'il est difficile d'établir qui ont été les véritables premiers occupants d'un territoire. Ainsi fait-on constamment des découvertes quant aux mouvements possibles des différents hominidés « originels » et quant aux vagues successives de peuplement.
On considérera ici, par convention, et en exhortant les spécialistes à l'indulgence, qu'il s'agit des populations formant une communauté de langue et de pratiques usuelles, présentes dans certaines régions de la planète avant les différentes colonisations européennes et leurs effets (la pandémie de 2020 nous a notamment rappelé combien les maladies importées pouvaient être dévastatrices). Nous pensons notamment ici à l'Arctique, à la Mésoamérique, à l'Océanie et à l'Afrique.
Or le lecteur assidu des études anthropologiques est frappé par certains traits communs à ces populations, même s'il faut manier avec la plus grande prudence des simplifications par nature abusives (et des explications qui parfois confinent à l'anachronisme). À cela s'ajoute le fait que les sources d'information restent souvent lacunaires, des marques et des traces essentielles ayant été détruites.
On retrouve fréquemment, notamment autour de ce que l'on appelle l'animisme et le chamanisme (généralisations, elles aussi, discutables et discutées), le lien étroit entre toutes les formes de vie, la présence obsessionnelle de phénomènes thérianthropiques, l'intégration de la mort dans la vie sociale, l'absence de concept d'appropriation individuelle (et de vocabulaire pour l'exprimer) et le respect pour tout végétal ou animal que l'on doit consommer ou utiliser.
De partout, sont à nouveau lancés des appels à la reconstruction de nos sociétés libérales actuelles, fondées sur la recherche du profit, la croissance et l'exploitation de ressources toutes, plus ou moins, non renouvelables (glaciers, uranium, métaux rares...). S'ensuivent des analyses relevant de l'angélisme et des expériences diverses, très semblables à celles que l'on a bien connues il y a une cinquantaine d'années, de quelques citadins qui croient trouver à la campagne un idéal de vie prétendument autarcique, et que les boues du premier hiver désillusionnent bien vite. Certes, l'on a pu affirmer que tous nos malheurs étaient nés de l'apparition de l'agriculture et l'on a pu décrire l'Éden des peuplades de chasseurs-cueilleurs. L'idée même de progrès, spirituel (avec Teilhard), intellectuel, matériel, alimentaire, médical... qui fut la doxa des deux ou trois dernières générations est aujourd'hui remise en question.
Faut-il donc « renverser la table » et revenir au passé ? Peut-être pas, même si l'on est enclin à marcher dans les pas de François d'Assise ou de Bartolomé de las Casas, plutôt que dans ceux de Sepúlveda. Le « monde » est sans doute très largement enjolivé (les peuples premiers avaient leurs conflits tribaux et leurs sacrifices humains, comme nous avons nos guerres). Mais réfléchir à réintroduire, dans nos cadres de vie et par le truchement de la loi, quelques notions que nous avons oubliées pourrait être salutaire. Après tout, notre XXIe siècle est déjà redevenu celui de l'ésotérisme avec ses concepts caligineux (régulation, conformité, risque de la preuve, gouvernement d'entreprise, responsabilité sociétale, guerre du droit...).Pourquoi pas, dès lors, un peu d'humanités dans les sciences dites exactes et plus de poésie dans les sciences dites humaines ? Pourquoi ne pas tenter d'infléchir nos textes, même (et d'abord ?) nationaux, vers plus de respect de toute forme de vie, des animaux et des végétaux, impliquant, notamment, un essai d'alignement de la production sur les besoins réels et non l'inverse ? Sans retomber dans les errements de la théorie des communs, pourquoi ne pas essayer de modifier les rapports sociaux en menant une réflexion en faveur de notions renouvelées de « sujet » et de « personnalité » ? Pourquoi ne pas encourager les engagements collectifs plutôt que l'égotisme ?
On sait quelle place éminente avaient (et peuvent encore avoir parfois) les songes chez les « peuples premiers ». Que l'on nous pardonne d'avoir ici, quelques instants, à notre tour, cédé à la tentation de prêter quelque intérêt à nos propres rêves...Mr Guevel, Professeur de droit privé et sciences criminelles, Doyen honoraire
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