• A Bornéo, les tribus chassées de leur terre face à la modernité

    A Bornéo, les tribus chassées de leur terre face à la modernité

    Sur l'île de Bornéo, les jeunes indigènes chassés de leurs terres au nom du développement économique embrassent la modernité avec avidité. Les anciens, eux, craignent le crépuscule de peuples égarés dans un siècle où les hommes ne valent pas mieux que les arbres.

    Sur l'île de Bornéo, les jeunes indigènes chassés de leurs terres au nom du développement économique embrassent la modernité avec avidité. Les anciens, eux, craignent le crépuscule de peuples égarés dans un siècle où les hommes ne valent pas mieux que les arbres.

    Arrivée à l'âge de quatre ans à Sungai Asap, un village de la partie malaisienne de Bornéo, Lenny Prescially n'a aucun souvenir de son village natal, évacué avant sa submersion par les eaux du barrage hydroélectrique de Bakun, sur la rivière Balui.

    "J'aime vivre à Sungai Asap", clame la jeune fille de 18 ans, de la tribu des Kenyah, les yeux rivés sur l'écran d'un ordinateur public connecté à l'internet.

    Des vieux chasseurs qui continuent de traquer le sanglier, machette au poing, dans les forêts environnantes, elle dit qu'"ils ne connaissent rien". "Il n'y a que les anciens qui veulent vivre comme autrefois".

    Les évacués de Bakun, dont 2.000 Kenyah, ont été relogés à Sungai Asap, une petite ville de l'Etat du Sarawak qui compte aujourd'hui 12.000 habitants de différentes tribus.

    Habitués aux rudes conditions de la forêt primitive, ils y ont gagné un certain confort matériel et sanitaire (eau courante, électricité, hygiène).

    Mais pour le chef des Kenyah, Danny Ibang, l'arrachement des tribus à leur terre a surtout porté un coup mortel à leur culture, à leurs traditions et, in fine, à leur unité.

    "Il y a eu beaucoup de bouleversements sociaux après le barrage de Bakun", déplore-t-il en évoquant les ravages de l'alcool, de la drogue et des grossesses précoces.

    Lancée en 1996, la construction du gigantesque barrage de 2.400 mégawatts fait partie d'un plan de développement engagé par le gouvernement fédéral sous prétexte d'apporter aux quatre millions d'autochtones les droits socio-économiques de la majorité malaisienne: travail, santé, éducation.

    En quelques années, ce territoire riche en ressources naturelles (caoutchouc, bois, cuivre), couvert à 80% par la forêt équatoriale, a vu fleurir concessions forestières et plantations de palmiers à huile --la Malaisie est le premier exportateur mondial d'huile de palme-- là où s'élevait une jungle parmi les plus anciennes de la planète.

    "Le territoire est presque entièrement occupé par les entreprises forestières et les plantations", affirme Mark Bujang, directeur du Borneo Resources Institute, un organisme de défense des peuples autochtones.

    Les communautés locales dénoncent les évacuations forcées, l'expropriation des paysans sans indemnisation, le viol des sépultures.

    Danny Ibang explique que chaque famille de Sungai Asap a reçu un peu plus d'un hectare de sol misérable alors qu'on leur avait fait miroiter huit hectares de terres fertiles.

    En octobre, la tribu des Penan a bloqué des routes d'accès à ses terres pour protester contre la pollution d'une rivière par une société forestière également accusée de déboisement. Les forces de l'ordre ont délogé les manifestants au bout d'une semaine.

    Condamnées à l'indigence, les tribus menacent de répondre par la violence à ce qu'elles perçoivent au minimum comme de la complaisance de la part des autorités locales envers les entreprises.

    "Quand notre terre nous est prise, c'est comme si notre corps se vidait de son sang", enrage Stem Liau, 48 ans, un habitant de Sungai Asap.

    Hasmy Agam, président de la Commission des droits de l'Homme de Malaisie, confie avoir reçu près de 2.000 plaintes pour violation des droits fonciers des autochtones au cours des dix dernières années. Les plaintes, dit-il, sont souvent assorties de menaces.

    Le ministre provincial du Développement du territoire, James Masing, défend sa politique en expliquant que le Sarawak a besoin d'emplois. Il a choisi son camp: "Je suis d'accord avec les jeunes", dit-il.

     


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